Un exceptionnel plat en porcelaine de Vincennes du service de Louis XV en vente le 18 avril à Drouot

La maison de vente Auctie’s a l’honneur de présenter ce 18 avril un exceptionnel grand plat ovale en porcelaine tendre de Vincennes, issu du service "Bleu Céleste" du Roi Louis XV au château de Versailles, estimé entre 20 000 et 30 000€.
Grand plat ovale en porcelaine tendre, à bords contournés formés par des palmes en relief généreusement nervurées d’après le modèle de Jean-Claude Duplessis (1699-1774), à décor polychrome au centre d’un groupe de fleurs et sur le bord de guirlandes de fleurs et feuillages dans quatre réserves cernées de sequins enfilés, peignés, épines de roses et guirlandes de fleurs en or sur fond bleu céleste, filet or sur chaque bordure. Un important fêle anciennement restauré avec des agrafes.
Manufacture royale de Vincennes, XVIIIe siècle, 1755. Marque en bleu aux LL entrelacés, lettre-date B pour 1755 ; marque en bleu du peintre de fleurs Pierre-Joseph ROSSET dit l’Aîné (actif 1753-1795). L. 60,5 x P. 44,5 x H. 6,5 cm. Provenance - Louis XV, roi de France et de Navarre (1710-1774), au château de Versailles. - Très probablement mentionné en 1778 dans les Offices du château du Petit Trianon, propriété de la reine Marie-Antoinette (1755-1793), parmi « 3 grands plats ovales ». - Collection privée française.


Historique
Le service « bleu céleste » de Louis XV est le premier service de table complet livré par la nouvelle manufacture royale de Vincennes, c'est-à-dire comprenant l'ensemble des pièces de « porcelaine française » nécessaires à tous les services du repas y compris le fruit. Il est commandé par le Roi à la manufacture en 1751 pour le château de Versailles.
Livré en trois fois en 1753, 1754 et 1755, il se compose de 1759 pièces (493 pièces pour le service de table et 1266 pièces pour le surtout, la plupart en biscuit), dont certaines présentent des formes nouvelles créées spécialement pour le Roi par son orfèvre Jean-Claude Duplessis (Turin, 1699-Paris, 1774). D’un coût total de 87.272 livres, ce service utilise une couleur également nouvelle, créée en 1753 par Jean Hellot (1685-1766), directeur de l'Académie des Sciences et récemment attaché à la Manufacture royale.
Proche du bleu égyptien et très apprécié sur la porcelaine chinoise d'où il tire son nom de bleu céleste, également nommé Bleu Hellot ou bleu ancien ou encore bleu du Roi, ce bleu turquoise intense n'était utilisable qu'à sec sur un mordant et non au pinceau. C'est une couleur de fond.
La première partie du service, livrée le 24 décembre 1753, est exposée au public à Paris chez le marchand mercier Lazare Duvaux, rue Saint Honoré. Le 8 avril 1754, la manufacture de Vincennes verse à M. Le Prince la somme de 52 livres de bougies qui ont été remises à M. Duvaux pour éclairer la salle où le service du Roy était exposé (arch. Sèvres, Vf2). Duvaux reçoit le 2 avril 1754 la somme de 430 livres, 11 sols et 6 deniers pour différents frais dont le transport de porcelaines à Versailles ainsi que pour faire voir au public le service du Roi.
La première partie du service est en effet envoyée par le marchand à Versailles au début du mois de février 1754. Le duc de Croÿ relate dans son journal à la date du 11 février 1754 qu'après un dîner à Versailles, « Louis XV nous occupa à déballer son beau service, bleu, blanc et or, de Vincennes, que l'on venait de renvoyer de Paris, où on l'avait étalé aux yeux des connaisseurs, C'était un des premiers chefs-d'oeuvre de cette nouvelle manufacture de porcelaines qui prétendait surpasser et faire tomber celle de Saxe.
La Marquise, à qui le Roi avait donné le village de Sèvres, faisant faire, aux dépens du Roi, de très grands travaux pour l'y établir à côté de la verrerie. Il y avait des pièces charmantes de ce service, plus agréable que d'usage. La pâte et le blanc me parurent très beaux et approchant du Japon. » (Vicomte de Grouchy et Paul Cottin, Journal inédit du duc de Croÿ (1718-1784), 1906, I, pp. 230-231).
Les deuxième et troisième livraisons du service ont lieu le 31 décembre 1754 puis le 31 décembre 1755. Le « Service en Bleu céleste livré au Roy » comportait quatre « Grands plats ovales » dont le nôtre, mentionnés en tête de liste lors de la dernière livraison du 31 décembre 1755, chacun au prix impressionnant de 840 livres, ce qui en fait le plat le plus cher du service, à égalité avec les grands plats ronds (arch. Sèvres, Vy1 f° 119 v°).
Nous ne connaissions, avant la découverte de notre plat, que deux de ces quatre grands plats ovales, conservés dans les collections de Sa Grâce le Duc de Buccleuch à Boughton House (Angleterre). L’un de ces deux plats a malheureusement été anciennement cassé en plusieurs morceaux et est monté en bronze sur un guéridon.
De mêmes dimensions et décor, ils sont également pareillement marqués de la lettre-date B pour 1755, mais ont une autre marque de peintre, un G probablement pour Jean-Baptiste Etienne Genest.
Nous connaissons de notre peintre Pierre Joseph Rosset (1734-1799) notamment un autre plat du service, un plat à rôts de 2e grandeur, acheté récemment par le château de Versailles (vente Sotheby’s, Londres, 22 mai 2019, lot 446).
Le grand plat ovale que nous présentons est ainsi le seul connu conservé en France, le quatrième plat étant à ce jour perdu et aucun n’est apparu précédemment dans le marché de l’art.

Une importante partie du service, environ 140 pièces, est vendue en juillet 1757 par Louis XV à Etienne-François de Choiseul, comte de Stainville-Beaupré (futur duc de Choiseul-Stainville en 1758), alors ambassadeur de France à Vienne, par l'intermédiaire de Lazare Duvaux, mais aucun plat du service n’est cédé par le Roi. Une grande partie de ces pièces se trouve aujourd’hui à Boughton House. La partie de service restée dans les collections de la Couronne est mentionnée dans un « État des Porcelaines de Sèvres déposées dans les Offices du Château du Petit Trianon » dressé le 16 juin 1778 et conservé aux archives nationales (AN K506, n° 21), mentionnant la présence de nombreux plats, dont « 3 grands plats ovales pour les grandes pièces dont il y en a un de cassé ». Outre le fait qu’il manque un des quatre plats livrés en 1755, il serait plaisant d’imaginer que le plat cassé soit le nôtre, notre plat faisant vraisemblablement partie de cet ensemble de trois au même titre que les deux plats conservés à Boughton House.

Résultat d'une véritable prouesse technique, notre plat est exceptionnel par la qualité de sa réalisation et notamment du relief de ses nervures, sa glaçure brillante et transparente, la profondeur de son bleu, mais surtout par sa taille, puisqu’il est le plus grand plat, et même tout simplement la plus grande pièce du service.
Antoine d’Albis, chimiste et ancien chef du laboratoire de la Manufacture de Sèvres, a mesuré l’importance de ces grands plats ovales dans l’histoire de la porcelaine à travers deux articles où les plats de Boughton House sont cités et où l’on en apprend plus sur leur incroyable fabrication : - « Une autre prouesse technique datant de la même période que la Naïade est représentée par les deux grands plats ovales à fond « bleu céleste » du service de Louis XV, livrés le 31 décembre 1755 et conservés aujourd'hui dans la collection du duc de Buccleuch à Boughton House.
Leur taille est impressionnante : 60,4 cm de longueur et 44,5 cm de largeur. Ce qui veut dire qu'avant le retrait de séchage et de cuisson, la longueur était de près de 70 cm et la largeur de 51 cm. On pouvait presque tout faire avec la porcelaine tendre, sauf de grandes pièces.
La casse en cru a dû être considérable et les pièces rescapées sont peu nombreuses. Il faut admirer les praticiens de l'époque, qui n'auraient pas pu créer une pièce plus grande. En effet, les caisses ou les « gazettes » en matière réfractaire utilisées dans le four à passage de cuisson de décors, dans lesquelles les plats devaient être placés, avaient les dimensions suivantes: longueur 78 cm, largeur 48 cm et hauteur 40 cm.
Si ces plats de 60 cm entraient facilement dans les caisses dans le sens de la longueur, en revanche leur largeur de 44,5 cm créait l'obligation de les enfourner de manière oblique pour pouvoir être placés dans des caisses qui étaient trop petites, car elles n'avaient que 40 cm de haut, et qui devaient être recouvertes d'une plaque en réfractaire.
Pour les tenir ainsi, on utilisait des supports métalliques appelés « pupitres ». Les plats devaient être cuits au moins sept fois, deux fois pour le bleu céleste, trois fois pour le décor polychrome et deux fois pour la dorure. Toutes les chances de voir les pièces éclatées ou au contraire dévitrifiées étaient réunies ! Il dut y avoir de multiples échecs.
Tout comme la Naïade, ces deux plats sont des pièces rarissimes, car elles étaient si difficiles à réaliser que l'on en fit très peu. (…) À Vincennes-Sèvres, en règle générale, les prouesses techniques ne se voient jamais et il convenait ici d'en rappeler l’existence. » (A. d’Albis, « La Naïade du musée du Louvre. Entre éclatements et dévitrifications », in Revue du Louvre, n° 1, 2020, p. 61 et ill. 8). -
« Le plus spectaculaire est sans doute le grand plat ovale à fond bleu céleste datant de 1755 du service de Louis XV (1710-1774) conservé de nos jours dans les collections du duc de Buccleuch à Boughton House en Grande-Bretagne. Sa longueur est de 60,4 cm et sa largeur est de 44,5 cm. En cru il devait avoir 70 cm de long et environ 55 cm de large. On imagine la joie et la fierté dans l'atelier de moulage lorsqu'après le séchage la pièce a pu être descendue au four et surtout lorsqu'elle en est sortie sans fente! »
(A. d’Albis, « Un plat d’entrée de première grandeur du service à fond vert livré au banquier Jean-Joseph de Laborde (1724-1794) », in Sèvres-Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, n° 30, 2021, p. 47 et ill. 6).

Littérature
- David Peters, Sèvres Plates and Services of the 18th Century, 2015, vol. II, n° 55-1, pp. 287-291.
- Pierre Grégory, « Le service bleu céleste de Louis XV à Versailles, quelques pièces retrouvées », La Revue du Louvre, 2. 1982, pp. 40-46.
- David Peters, Versailles et les Tables Royales ̧ catalogue d'exposition, « Les services de Porcelaine de Louis XV et Louis XVI », pp. 110-112.
- Rosalind Savill, Versailles et les Tables Royales ̧ catalogue d'exposition, « Le premier service de Porcelaine de Louis XV », pp. 281-284.
- Rosalind Savill, « L'apothéose de Vincennes, le service de table de Louis XV », Dossier de l'Art, n° 15, décembre 1993, pp. 14-21.
- David Peters, « An examination of Vincennes and early Sèvres date letters », the French Porcelain Society, 17 juin 2014.
Estimation 20 000/30 000 €
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